Signé Ajar, ce roman reçut le prix Goncourt en 1975.
Histoire d'amour d'un petit garçon arabe pour une très vieille femme juive : Momo se débat contre les six étages que Madame Rosa ne veut plus monter et contre la vie parce que «ça ne pardonne pas» et parce qu'il n'est «pas nécessaire d'avoir des raisons pour avoir peur». Le petit garçon l'aidera à se cacher dans son "trou juif", elle n'ira pas mourir à l'hôpital et pourra ainsi bénéficier du droit sacré «des peuples à disposer d'eux-mêmes» qui n'est pas respecté par l'Ordre des médecins. Il lui tiendra compagnie jusqu'à ce qu'elle meure et même au-delà de la mort.
Au sortir de la Grande Guerre, la biguine, une musique nouvelle venue des Antilles, conquiert le Tout-Paris. Elle prend ses quartiers au Bal de la rue Blomet, au coeur de Montparnasse. Là, des célébrités (Joséphine Baker, Foujita, Ernest Hemingway, Robert Desnos...) croisent des anonymes, des ouvriers côtoient des intellectuels. Noirs, Blancs, métis, femmes du monde ou de petite vertu se mêlent dans un joyeux chahut, amours et amitiés se font et se défont sur des rythmes endiablés. C'est là que se rencontrent Anthénor Louis-Edmond, vétéran noir de la bataille des Dardanelles, Frédéric Clerville, jeune Mulâtre fils d'un brillant avocat de Fort de France en rupture de ban avec sa famille, Elise, domestique d'anciens coloniaux... Tous les trois sont martiniquais : destins croisés d'exilés sur fond de biguine, de valse et de mazurka en quête de l'amour vrai ou de jouissances immédiates...
Avec sa verve incomparable, Raphaël Confiant redonne vie à ce lieux mythique, et plus généralement au Paris glorieux des Années folles, dessinant en filigrane la nostalgie d'un paradis perdu...
TOBY-CHIEN : Elle me saisit par la peau du dos, comme une petite valise carrée, et de froides injures tombèrent sur ma tête innocente : "Mal élevé. Chien hystérique. Saucisson larmoyeur. Crapaud à coeur de veau. Phoque obtus..."
Tu sais le reste. Tu as entendu la porte, le tisonnier qu'elle a jeté dans la corbeille à papier, et le seau à charbon qui a roulé béant, et tout...
KIKI-LA-DOUCETTE : J'ai entendu. J'ai même entendu, ô Chien, ce qui n'est pas parvenu à ton entendement de bull simplet. Elle et moi, nous dédaignons le plus souvent de nous expliquer.
"Une dame qui chante avec la voix d'un pur ruisseau français la triste tendresse qui fait battre si vite le coeur des bêtes."
Francis Jammes
Dialogues présents dans ce recueil :
Sentimentalités.
Le voyage.
Le dîner est en retard.
Elle est malade.
Le premier feu.
L'orage.
Une visite.
Celle qui en revient.
Les bêtes et la tortue.
Préface de Francis Jammes
1702, le jeune Gabriel-Mathieu d'Erchigny de Clieu, originaire de Dieppe, a tout juste quinze ans. Une fois obtenus ses galons d'enseigne de vaisseau, le voilà envoyé à la Martinique : son rêve d'Amérique devient réalité. Il cultive la canne à sucre, qui lui procure rapidement une jolie fortune, une épouse, et une plantation prospère. Qelques années plus tard, il rentre en France une nouvelle idée en tête : cultiver du café aux Antilles. Ce breuvage nouveau devient terriblement à la mode, mais les Français l'achètent à prix d'or aux pays producteurs. Or, le Jardin Royal des Plantes conserve quelques caféiers, sous étroite surveillance. Le hasard fait bien les choses qui met Clieu en contact avec la nièce du médecin personnel de Louis XV qui, par amour pour lui, dérobe deux précieux plants!
L'aventure ne fait que commencer. Clieu doit retourner à la Martinique : il affrète un bateau, recrute un équipage, y embarque son butin et des voyageurs ... Début d'une longue traversée périlleuse, odyssée émaillée d'embûches tragi-comiques - attaque de pirates, calme plat, ouragan, manque d'eau, tentative de mutinerie...
Péripéties, rebondissements et surprises émaillent le roman de Raphaël Confiant dont la plume alerte retrace la rocambolesque et véridique histoire du café, des origines à nos jours...
"- Je vous préviens que ça ne se passera pas comme ça. Il est exact que je viens d'avoir quatre-vingt-cinq ans. Mais de là à me croire nul et non avenu, il y a un pas que je ne vous permets pas de franchir. Il y a une chose que je tiens à vous dire. Je tiens à vous dire, mes jeunes amis, que je n' ai pas échappé aux nazis pendant quatre ans, à la Gestapo, à la déportation, aux rafles du Vel' d'Hiv', aux chambres à gaz et à l'extermination pour me laisser faire par une quelconque mort dite naturelle de troisième ordre, sous de miteux prétextes physiologiques. Les meilleurs ne sont pas parvenus à m'avoir, alors vous pensez qu'on ne m'aura pas par la routine. Je n'ai pas échappé à l'holocauste pour rien, mes petits amis. J'ai l'intention de vivre vieux, qu'on se le tienne pour dit !"
« Un matin, j'eus une curieuse révélation sur moi-même : Moktir, le seul des protégés de ma femme qui ne m'irritât point, était seul avec moi dans ma chambre. Je me tenais debout auprès du feu, les deux coudes sur la cheminée, devant un livre, et je paraissais absorbé, mais pouvais voir se refléter dans la glace les mouvements de l'enfant à qui je tournais le dos. Une curiosité que je ne m'expliquais pas bien me faisait surveiller ses gestes. Moktir ne se savait pas observé et me croyait plongé dans la lecture. Je le vis s'approcher sans bruit d'une table où Marceline avait posé, près d'un ouvrage, une paire de petits ciseaux, s'en emparer furtivement, et d'un coup les engouffrer dans son burnous. » André Gide (1869-1951), Prix Nobel, est notamment l'auteur de : Les Nourritures terrestres, La Symphonie pastorale, Les Caves du Vatican, Les Faux-Monnayeurs, Si le grain ne meurt, La Porte étroite, Feuillets d'automne, d'essais critiques sous le titre de Prétextes et Nouveaux prétextes et du célèbre Journal.
"« La porte était close. Le verrou n'opposait toutefois qu'une résistance assez faible et que d'un coup d'épaule j'allais briser... À cet instant j'entendis un bruit de pas ; je me dissimulai dans le retrait du mur.
Je ne pus voir qui sortait du jardin ; mais j'entendis, je sentis que c'était Alissa. Elle fit trois pas en avant, appela faiblement :
- Est-ce toi Jérôme ?...
Mon coeur, qui battait violemment, s'arrêta, et, comme de ma gorge serrée ne pouvait sortir une parole, elle répéta plus fort :
- Jérôme ! Est-ce toi?
À l'entendre ainsi m'appeler, l'émotion qui m'étreignit fut si vive qu'elle me fit tomber à genoux. »
André Gide (1869-1951), Prix Nobel, est notamment l'auteur de : Les Nourritures terrestres, La Symphonie pastorale, Les Caves du Vatican, Les Faux-Monnayeurs, Si le grain ne meurt, L'Immoraliste, Feuillets d'automne, d'essais critiques sous le titre de Prétextes et Nouveaux prétextes et du célèbre Journal.
"
- C'est lui! C'est lui! chuchotèrent les jeunes gens en proie à une vive excitation. Le docteur Ramzi An-Nawawî n'était pas un docteur comme les autres, un vulgaire guérisseur de maladies humaines. Il se consacrait exclusivement à la recherche et avait construit dans une aile de sa villa un laboratoire ultramoderne où il se livrait à des expériences sur des rats, des chats, des singes, des végétaux. Vêtu d'une gandoura sombre comme sa peau. Son visage saisissait. Sous la calotte noire des cheveux, un front ample trahissait des dons intellectuels, tandis que la bouche ourlée débordait de sensualité et que le menton creusé d'une fossette suggérait la tendresse. Kassem n'avait jamais contemplé un être aussi attirant. Né à Lille, de père guadeloupéen et de mère roumaine, Kassem ne sait où se situer et se voit forcé d'endosser des identités qu'il n'a pas choisies. Il rencontre le Dr Ramzi dont il devient l'assistant et le protégé. Le médecin a une réputation sulfureuse. Kassem soupçonne des pratiques douteuses, voire coupables. Mais Ramzi exerce sur lui une fascination dont il ne peut se défendre. Ce Dr Ramzi est-il vraiment un sauveur? Kassem saura-t-il s'affranchir de lui? Énigmes et rebondissements sur un rythme haletant nous entraînent dans l'univers de Maryse Condé, sur les pas de son héros au destin à la fois burlesque et pathétique.
3Après avoir signé plusieurs centaines de fois, si bien que la moquette de ma piaule était recouverte de feuilles blanches avec mon pseudo qui rampait partout, je fus pris d'une peur atroce : la signature devenait de plus en plus ferme, de plus en plus elle-même, pareille, identique, telle quelle, de plus en plus fixe. Il était là. Quelqu'un, une identité, un piège à vie, une présence d'absence, une infirmité, une difformité, une mutilation, qui prenait possession, qui devenait moi. Émile Ajar. Je m'étais incarné."
Romain Gary
«Je suis la femme de Daniel Leroy et la maîtresse d'un secrétaire d'État macoute. C'est vrai je suis lâche, j'aurais pu me battre, refuser, crier au scandale. Mais j'aurais été seule, tout à fait seule. Seule face à la peur. J'aurais pu disparaître, me faire torturer et violer, comme il y a quelques années, au tout début de la dictature, cette journaliste, mère de cinq enfants. Maintenant la peur couche dans mon lit, je la baise, lui donne du plaisir, je profite de ses largesses. En me soumettant au secrétaire d'État je garde Daniel en vie. Pour le reste, pour demain, je ne sais rien.» Port-au-Prince, années 1960 : Duvalier et ses tontons macoutes éliminent systématiquement les opposants au régime. Daniel Leroy, rédacteur en chef du principal journal d'opposition, vient d'être enlevé. Pour obtenir de ses nouvelles, son épouse Nirvah se rend chez le secrétaire d'État à la Sécurité publique, Raoul Vincent. Le redoutable chef de la police est subjugué : pour assurer la survie de son époux et protéger sa famille, Nirvah se soumet au désir du fonctionnaire. Devenir la maîtresse officielle d'un homme fort du régime n'a pas que des désagréments. Encore faut-il supporter le regard inquisiteur des voisins et les questions muettes de ses propres enfants... Kettly Mars décrit une période charnière et douloureuse de l'histoire d'Haïti et tisse ensemble deux histoires : l'intime - le destin de Nirvah et de sa famille -, et l'universelle - le régime politique dictatorial de Duvalier et ses exactions.
Ma chance à moi, Stéphanie St-Clair, Négresse française débarquée au beau mitan de la frénésie américaine, fut qu'à mon arrivée Harlem commençait à se dépeupler de ses premiers habitants irlandais, puis italiens, lesquels cédaient la place jour après jour, immeuble après immeuble, à toute une trâlée de Nègres venus du Sud profond avec leur accent traînant du Mississippi et leur vêture ridicule en coton de l'Alabama. Dès le premier jour sur cette terre d'Amérique, je me jurai que personne ne me marcherait plus sur les pieds ni ne me traiterait en petit Négresse. Personne !
Dans le New York des années 1920-1940, Stéphanie St-Clair connut un incroyable destin. Venue de sa Martinique natale, elle deviendra reine de la loterie clandestine, surnommée "Madame Queen" ou "Queenie" par le milieu, et affrontera avec succès à la fois la pègre noire et la mafia blanche du Syndicat du crime. Traversant avec panache toutes les époques - la Première Guerre mondiale, la prohibition, la Grande Dépression de 1929, la Seconde Guerre mondiale et le début du Mouvement des droits civiques - elle s'enrichit et devint une icône à Harlem, mais aussi dans nombre de ghettos noirs du nord des États-Unis.
Ce roman rend justice à celle qui fut, outre une femme-gangster impitoyable et cruelle, un précurseur de l'affirmation féministe afro-américaine.
Victoire ne savait nommer ses plats et ne semblait pas s'en soucier. Elle était enfermée le plus clair de ses jours dans le temple de sa cuisine, petite case qui s'élevait à l'arrière de la maison, un peu en retrait de la case à eau. Sans parler, tête baissée, absorbée devant son potajé tel l'écrivain devant son ordinateur. Elle ne laissait à personne le soin de hacher un cive ou de presser un citron comme si, en cuisine, aucune tâche n'était humble si on vise à la perfection du plat. Elle goûtait fréquemment, mais, une fois la composition terminée, ne touchait pas. Cuisinière au savoir-faire inoubliable, Victoire Élodie Quidal travaille au service d'Anne-Marie et Boniface Walberg, à La Pointe. Sa virtuosité et son excellence sont recherchées par la bonne société guadeloupéenne qui la réclame dans ses cuisines... Victoire, qui n'a pas été épargnée par le destin, connaîtra-t-elle enfin son heure de gloire ? C'est avec une affection toute particulière que Maryse Condé brosse le portrait attachant de cette femme qui fut aussi sa grand-mère.
Le seul roman écrit par Ionesco. A trente-cinq ans, un homme fait un héritage et se retire de la vie. Il ne cesse de s'étonner de ses congénères qui continuent à s'agiter, à se battre même, à aimer, à croire. La recherche de l'oubli, la nostalgie du savoir que nous n'aurons jamais, le sentiment de notre infirmité et du miracle de toute chose, font de cet individu banal un être qui a la grâce, un mystique pas tellement loin de Pascal.
Parle-moi de "Là-bas" ! Parle-moi surtout-surtout de la Marne, grand vent qui voyage sans répit de par le monde ! On dit que Théodore est mort dans une tranchée. Je ne comprends pas. Pourquoi l'armée de "Là-bas" se cachait-elle dans des trous au lieu de monter au front ? Pourquoi y attendait-elle que le Teuton fonde sur elle? Man Hortense a perdu son fils Théodore, coupeur de canne émérite, à la bataille de la Marne, pendant la guerre de 14-18. Mais elle ne comprend pas ce qui s'est réellement passé sur ce front si loin de la Martinique... Théodore faisait partie du "Bataillon créole" dans lequel des milliers de jeunes soldats s'enrôlèrent pour aller combattre dans la Somme, la Marne, à Verdun et sur le front d'Orient, dans la presqu'île de Gallipoli et aux Dardanelles. C'est du point de vue martiniquais, celui des parents des soldats, que Raphaël Confiant a choisi de nous faire vivre cette guerre. Il ya donc Man Hortense ; mais aussi Lucianise, qui tente d'imaginer son frère jumeau Lucien à Verdun : Euphrasie, la couturière, qui attend les lettres de son mari, Rémilien, prisonnier dans un camp allemand. Et, à leurs côtés, ceux qui sont revenus du front : rescapés, mutilés et gueules cassées créoles... Éloge de la mémoire brisée et sans cesse recousue, Le Bataillon créole donne la parole à ces hommes et à ces femmes qui, à mille lieues des véritables enjeux de la Grande Guerre, y ont vu un moyen d'affirmer leur attachement indéfectible à ce qu'ils nommaient la "mère patrie".
Pour la postérité, le nom de Jeanne Duval reste lié à celui de Charles Baudelaire. Apprentie comédienne ou fille de joie, muse ou diablesse, qui était vraiment celle qui traversa la brève existence du poète, enchanta sa plume et le plongea dans les tourments de l'amour et de la passion ? Qui était Jeanne Duval, venue des îles d'Amérique ou de l'océan Indien, ou peut-être du pays des Maures, et qui fit découvrir à Baudelaire un monde insoupçonné de sensualité et d'exotisme ? Un monde encore plus singulier que celui offert par le chanvre indien et l'opium dont l'auteur des Fleurs du mal faisait une consommation déraisonnable...
C'est cette passion torride, délétère et sublime que nous raconte Raphaël Confiant dans un roman foisonnant émaillé de vers célèbres. Des pavés parisiens de l'île Saint-Louis jusqu'aux îles Mascareignes, en passant par Saint-Domingue devenue Haïti, et la Belgique, sa plume alerte nous entraîne sur les traces du poète français, auprès duquel évoluent tous les grands artistes de ce XIXe siècle flamboyant, Nadar, Dumas, Lamartine, Flaubert, Manet, Delacroix, Nerval, Gautier, et bien d'autres...
Accroupie, toute de blanc vêtue, l'enfant regarde en silence, les yeux exorbités, le gros boucher assommer, au fond d'un grand trou noir, le boeuf ; le boeuf du petit Jésus. Le bruit du choc, la vue du sang que la mère phtisique boit à petites gorgées, colorant de rouge ses lèvres pâlies marqueront à jamais l'enfance de Mary.
Une oeuvre flamboyante qui met en scène la vie rude que mena une petite fille élevée à la hussarde par son père officier dans l'armée impériale. Mary deviendra un monstre assoiffé de sang... Elle aura un compte à régler avec le 'mâle' qui a tué en elle l'innocence.
Récits de rêves, opinions, souvenirs, réflexions morales, notes sur la littérature : ce Journal en miettes n'est pas un journal habituel où seraient consignés, au jour le jour, les événements d'une vie. C'est, en quelque sorte, à une entreprise contraire que se livre ici Eugène Ionesco : raconter, non pas chaque jour ce qui arrive, mais chaque jour ce qui n'arrive pas.
Un homme cherche à surmonter la crise permanente qu'est la pensée de la vie et de la mort, à résoudre les interrogations, triompher de l'angoisse, à y voir clair, et note ses obsessions, ses doutes, ses refus. L'enfance ressurgit dans le présent, les images oniriques recouvrent soudain le réel, le passé se confond avec l'avenir : peu à peu, miette par miette, se reconstitue une chronologie intérieure au-delà de la chronologie, au-delà du portrait les silences, les mystères, comme le négatif d'un homme et d'une oeuvre.
Dans une île des Antilles, une famille vénère un ancêtre qui fut roi d'un pays africain. Son portrait trône, depuis des lustres, au-dessus du buffet. Et, tous les ans, ses descendants rendent hommage au roi, en un rituel à la fois sacré, mystérieux et comique. Pour tout dire, les descendants de l'étrange souverain vivent en perpétuant, comme ils peuvent, les traditions dont ils ont hérité : la fidélité aux rites, la fierté et l'orgueil d'avoir du sang royal... Tout cela constitue un drolatique folklore.
Les personnages tissent d'incroyables situations qui se succèdent, s'enchevêtrent, d'une manière naturelle et mouvementée, avec cet art du 'conte' qui ne cesse de nous charmer et de nous envoûter. À travers l'éclat déchu qui les anime, tous ces êtres nous offrent en partage leur vie quotidienne.
Sur cette trame féconde, Maryse Condé s'amuse à observer avec un grand souci du détail et infiniment de tendresse, ces gens de la Guadeloupe, dont elle restitue les contradictions, les tensions et l'immense générosité.
Adèle, fille cadette de Victor Hugo, s'est enfuie en Amérique à la recherche de son amant, l'officier anglais Albert Pinson. D'Halifax, au Canada, à la Barbade, dans l'archipel des Antilles, Adèle poursuit un homme qui n'existe peut-être pas... Son esprit est dérangé et elle erre sur les quais de Bridgetown, capitale de la Barbade, lorsqu'elle est recueillie par Céline Alvarez Bàà, sauvée in extremis d'une déchéance absolue. Céline, solide Négresse, est une pacotilleuse qui parcourt les îles et la terre ferme, de Saint-Dominigue à Carthagène des Indes, de Cayenne à La Havane, munie de lourds paniers caraïbes où s'entassent colifichets, miroirs, bibles, remèdes, tissus chatoyants et farine de manioc. Se prenant d'affection pour Adèle, elle décide de l'emmener à Saint-Pierre de la Martinique, le "petit Paris du Nouveau Monde", puis de la raccompagner en France chez son illustre père... Comment cette Négresse habituée aux coups de vent de la vie, descendante de conquistadors, de flibustiers et d'esclaves africains sera-t-elle accueillie par l'auteur des Misérables ? Comment la fragile Adèle aura-t-elle vécu ce passage aux Antilles et supportera-t-elle son retour au bercail ?
Raphaël Confiant dresse deux beaux portraits de femmes et nous révèle, dans une langue riche des sonorités de toutes les langues parlées aux Antilles ( français, créole, anglais, espagnol, hollandais, etc.), une des facettes, insoupçonnée, du choc entre l'Ancien et le Nouveau Monde...
À chaque fois qu'un docteur lui confirmait qu'elle portait un enfant, Gina éprouvait aussitôt l'étrange et merveilleuse sensation de flotter dans un temps parallèle. Elle était alors intimement persuadée de détenir un pouvoir qui s'activait en elle dès la première semaine de gestation, se déployait jusqu'à la délivrance et s'amoindrissait au fur et à mesure, avant de disparaître d'un coup, le jour même où sortait la troisième dent de l'enfant. Pour Gina Bovoir, attendre un bébé est un moment d'exception. Elle a déjà sept enfants de pères différents. Enceinte de son huitième petit, elle s'en réjouit en secret avant d'annoncer la nouvelle à son entourage. C'est sa façon de fuir le réel et les soucis du quotidien. Car Gina vit dans un quartier difficile, la Ravine claire, un ghetto désolé, violent, abandonné des pouvoirs publics. Après chaque accouchement, Gina promet de ne plus tomber enceinte, mais 'rechute' systématiquement. Sharon voit sa mère sa mère s'éloigner un peu plus de ses grands enfants. La filette supportera-t-elle un nouveau petit frère? À travers cette chronique douce-amère et les destins singuliers de ses personnages, Gisèle Pineau brosse aussi le portrait de la Guadeloupe d'aujourd'hui, tiraillée entre ses douleurs anciennes et ses fléaux modernes.
Seuls les rares étrangers, qu'on dérisionnait sous le vocable d'"emmenés-par-le-vent", à s'aventurer dans cette partie du quartier des Terres-Sainville, parfois cognaient, en vain, sur la porte d'entrée en quête d'une chambre. Inévitablement, ces pauvres bougres étaient accueillis par les braillements d'une plantureuse négresse, qui bordillait la cinquantaine, Man Florine, celle-ci trouvant là l'occasion d'étaler sa défiance envers la gent masculine et de l'univers entier tout à la fois : "On veut quoi ? Y a pas de chambres pour baiser ! Ce sont des gens de bien qui habitent ici ! Si vous cherchez une catin, allez donc à la Cour Fruit-à-Pain !"
Construit en 1922, propriété de trois soeurs békées, l'Hôtel de la Charité Saint François de Sales - premier nom de l'Hôtel du Bon Plaisir - accueillait d'abord les nécessiteux de Fort-de-France. Puis il devint une maison de tolérance. Désormais, l'Hôtel du Bon Plaisir est un immeuble locatif presque comme les autres, qui abrite des personnages pittoresques : un clarinettiste émérite, un entrepreneur, un avocat ruiné par les dettes de jeu, une famille d'hindous échappée des plantations de canne à sucre, un Syrien énigmatique, sans oublier la truculente Man Florine... En narrant l'histoire mouvementée de la construction de cet hôtel, Raphaël Confiant raconte celle de ses habitants, véritable microcosme de la société créole.
Au XVe siècle, Christophe Colomb baptisa les Antilles "Indes occidentales". Une multitude de peuples déferla sur l'archipel : Amérindiens caraïbes venus des Guyanes, Européens ayant bravé la mer des ténèbres, Africains déportés dans les cales des bateaux négriers. Un monde nouveau s'édifia autour d'un dieu unique, la canne à sucre. Une fois l'esclavage aboli, il fallut faire appel à des travailleurs sous contrat de la Chine, du Congo, et surtout, les plus nombreux, de l'Inde : pour la première fois, les Indes orientales rencontraient les Indes occidentales.
À travers deux générations de Dorassamy, venus en Martique pour y couper la canne, Raphaël Confiant retrace l'épopée de ces dizaines de milliers de "Coulis" ayant fui leur pays de misère pour une terre promise...
Un univers baroque servi par une langue métisse nourrie de la poésie du créole et des sonorités mystérieuses du tamoul.
Depuis que maman a dit à ma grand-mère qu'on allait bientôt rejoindre mon père en France, Hanna vient tous les jours à la maison. Pour mon père, vivre sans nous est une épreuve. Nous lui manquons, la décision est prise. Moi, au début, je n'ai rien ressenti, je ne savais pas quel effet ça faisait d'être là-bas. Ensuite, je me suis mis à vivre avec une inquiétude tenace que je trimballais partout. Et la tristesse en prime : quitter Hanna, le reg, ma tribu, Abdel, tout. J'ai prévenu l'école de mon départ. La maîtresse est ravie pour moi. Elle dit qu'en France, il y a des feux verts et rouges qui règlent la circulation, des cabines d'ascenseur dans les maisons très hautes, des trains qui roulent dans les tunnels. - Ton père habite où ? Quand j'ai répondu Nanterre, elle était moins ravie pour moi... Du reg algérien de son enfance au bidonville de Nanterre, Mehdi Charef raconte les tribulations d'un petit garçon dont la vie n'a pas toujours été facile. Pour vivre, il a dû se battre : chez lui, sur la terre de ses ancêtres, comme en France, son nouveau pays d'accueil, au milieu des années 1960. Humaniste et généreux, l'auteur dresse un tableau attachant de sa famille et propose le récit de son expérience d'immigré.
Une fourchette pour analyser nos repas, un bracelet pour contrôler le fonctionnement de nos organes, bientôt une voiture qui se conduit toute seule... Plus intelligents les uns que les autres - et que nous-mêmes, bien entendu -, les objets connectés font tout à notre place.
L'âge d'or ? Pas si sûr. Il suffit de voir à quel point ceux qui promettaient hier de nous faciliter la vie nous tourmentent aujourd'hui : le grille-pain, le parapluie, la chaise longue, le rouleau adhésif, le portable... L'intelligence n'exclut pas automatiquement la malfaisance.
Dans la bande des cinquante interpellés ici, les plus énervants ne sont pas les moins astucieux, ce serait trop simple. Chaque objet possède sa manière, subtile ou primaire, de nous faire enrager, d'imposer sa loi et (c'est un comble) de faire de nous sa chose.
Il était grand temps de mettre un terme à cette situation intolérable et de passer les coupables par les armes de l'humour et de la dérision. Un livre à lire d'urgence pour se libérer.